
(lavoixdesentreprises.info) – Lors de la BOAD Development Days tenu les 12 et 13 juin 2025 à Lomé, Lionel Zinsou a exposé un diagnostic percutant sur le système financier ouest-africain. Avec un appel à une transformation radicale, il a mis en lumière les défis du financement du développement en Afrique, tout en proposant une feuille de route ambitieuse pour sortir du modèle actuel.
Sous un ciel clair à Lomé, les participants de la BOAD Development Days se sont réunis pour entendre Lionel Zinsou, une figure éminente de l’économie africaine. Ancien Premier ministre du Bénin et banquier d’affaires aguerri, Zinsou a captivé son auditoire avec une présentation franche sur le financement du développement en Afrique. « Financer le développement autrement », tel était le thème de sa keynote, qui a résonné comme un cri d’alarme dans un contexte où les économies africaines tentent de se redresser après la pandémie.
Dès les premières minutes, Zinsou a insisté sur l’urgence d’un changement de paradigme. « Il faut sortir de notre zone de confort », a-t-il déclaré, appelant à une révision profonde de l’écosystème financier de l’UEMOA. Bien que l’union ait évité la récession pendant la crise, Zinsou a démontré que les indicateurs macroéconomiques cachent une réalité plus sombre. En effet, le crédit au secteur privé dans l’UEMOA est inférieur à 20 % du PIB, contre 70 % dans l’Union européenne et jusqu’à 140 % en Chine. « À ce rythme, nous ne pourrons jamais financer l’industrialisation ou la montée en puissance de nos classes moyennes », a-t-il averti.
Zinsou a pris l’exemple du Bénin pour illustrer son propos. L’agriculture, qui représente 28 % du PIB, ne capte que 2 % des crédits bancaires. « Un non-sens économique », a-t-il insisté, soulignant que ce secteur est crucial pour l’emploi et la richesse nationale. De plus, le logement, moteur de croissance inclusive, reste marginalisé en Afrique, privant le continent d’un levier essentiel pour son développement.
Mais l’absence de financement ne s’arrête pas là. Zinsou a pointé du doigt le manque de soutien à la chaîne de froid, indispensable pour sécuriser les productions agricoles et valoriser les stocks. « Personne ne finance la chaîne de froid en Afrique », a-t-il martelé, signalant une perte de valeur ajoutée et d’autonomie alimentaire.
Au-delà des chiffres, Zinsou a posé une question fondamentale : « Le système financier est-il réellement au service de notre développement ? » Sa réponse était sans appel. Il a plaidé pour une réappropriation régionale du pilotage financier, affirmant que les grands groupes financiers doivent être ancrés dans les réalités locales. « Il faut des acteurs sensibles aux spécificités locales, capables de financer l’innovation », a-t-il déclaré.
Il a également interpellé la BCEAO, l’appelant à faire de la croissance une priorité monétaire plutôt que de se concentrer uniquement sur la stabilité des prix. Avec une inflation maîtrisée en dessous de 3 %, il est temps, selon Zinsou, d’ouvrir les vannes du crédit et de soutenir l’investissement productif.
Zinsou a souligné que les actifs africains prennent de la valeur, mais souvent, ils restent inexplorés. Le foncier urbain, les terres arables et même les résidus agricoles offrent un potentiel immense, mais sont souvent ignorés par les circuits de financement traditionnels. « Un hectare de manioc peut produire jusqu’à 40 tonnes avec les bonnes technologies », a-t-il expliqué, insistant sur la nécessité que les banques acceptent de financer cette montée en gamme.
La transition démographique du continent, avec une classe moyenne en expansion, pourrait également jouer un rôle clé. « Nous avons un potentiel d’épargne à canaliser », a-t-il noté, soulignant l’importance de transformer cette force en capital patient orienté vers les besoins stratégiques.
Face à ces défis, la BOAD a été présentée comme un modèle inspirant. Zinsou a salué cette institution pour ses initiatives novatrices, telles que l’assurance agricole et ses expériences de titrisation. Cependant, il a mis en garde : « La BOAD ne peut pas rester une exception. Le système financier doit s’ouvrir aux secteurs sous-financés comme l’énergie et le numérique. »
Le message de Lionel Zinsou résonne avec force : « Financer autrement, ou renoncer à l’émergence. » Pour lui, il ne s’agit pas seulement de réorienter les ressources, mais de mettre la finance au cœur d’un projet de transformation structurelle. L’Afrique ne manque ni de capitaux ni d’idées, mais elle a besoin d’un système financier à la hauteur de ses ambitions.
Tressy Chouente